Une révolution ou un mirage ?
Le monde numérique est en ébullition : technologies No-Code, intelligence artificielle, SaaS… À première vue, ces outils semblent révolutionner la création de sites web, d’applications ou de contenus, sans exiger de compétences techniques avancées. Les TPE/PME comme les grandes entreprises sont tentées de s’y lancer, attirées par la promesse de rapidité, de facilité et de réduction des coûts.
Pourtant, la réalité est souvent plus complexe. Derrière l’apparente simplicité, on découvre un univers fait de dépendance technologique, de verrouillage, de failles de sécurité et de coûts cachés. Dans ce tourbillon de l’innovation, même l’État français n’a pas été épargné, piégé par des offres initialement attractives qui se sont avérées coûteuses à long terme. Cet article propose une vision globale de ces illusions technologiques afin de vous aider à prendre des décisions éclairées.
Sommaire de l'article
Le No-Code : une solution simple mais aux limites souvent ignorées
Qu’est-ce que le No-Code ?
Le No-Code regroupe des plateformes (Wix, Bubble, Webflow, Zapier, etc.) permettant de concevoir des sites web, des applications ou des automatisations sans écrire la moindre ligne de code. L’idée est de rendre le développement plus accessible, d’accélérer la mise sur le marché et de diminuer les coûts de départ.
Les promesses du No-Code
Accessibilité : pas besoin d’être développeur.
Rapidité : déploiement d’un MVP ou d’un site vitrine en quelques heures ou jours.
Économie : réduction des coûts de main-d’œuvre spécialisée.
Les revers du décor
Manque de flexibilité : les fonctionnalités avancées ou sur mesure dépassent vite les limites de la plateforme.
Problèmes de scalabilité : difficultés à supporter un trafic important ou des évolutions complexes.
Dépendance : la plateforme peut changer ses tarifs ou fermer, mettant en péril le projet.
Sécurité et performances : le code généré n’est pas toujours optimisé pour le SEO ni pour la cybersécurité.
Un gain de temps initial peut donc se transformer en cauchemar lorsque vient le moment de faire évoluer ou de maintenir la solution.
L’IA : automatisation ou appauvrissement des compétences ?
IA générative : un outil ou un substitut ?
Les modèles d’IA générative (ChatGPT, Midjourney, DALL·E, etc.) sont capables de produire des textes, des visuels ou du code. Ils bousculent ainsi les métiers de la rédaction, du graphisme et du développement. S’ils facilitent certaines tâches, ils ne sont pas infaillibles et ne remplacent pas entièrement l’expertise humaine.
Les dérives constatées
Prolifération de faux experts : certains “spécialistes IA” se contentent de prompts sans réelle compétence métier.
Baisse de la qualité : les contenus générés peuvent manquer de profondeur, d’originalité ou de cohérence.
Risques juridiques : droits d’auteur et responsabilités sont flous (contenus erronés, plagiés ou diffamatoires).
L’IA est un accélérateur. Sans supervision et sans compétences solides, elle peut entraîner un appauvrissement de la qualité ou des complications légales.
Des parallèles inquiétants dans d’autres secteurs
Aviation et automobile
Boeing 737 MAX : des conceptions précipitées, une formation insuffisante et des accidents mortels en résultant.
Rappels automobiles : des modèles lancés trop vite pour devancer la concurrence, puis rappelés massivement en raison de défauts de conception.
Échecs technologiques retentissants
FoxMeyer : faillite après un projet ERP mal géré (100 M$ de pertes).
Lidl : 500 M€ de pertes liées à une migration SAP ratée.
Revlon, Nortel Networks : mauvaise gestion technologique ayant entraîné effondrement partiel ou total.
Gifi en difficulté à cause d’une migration informatique
Il ne s’agit pas uniquement de technique, mais aussi de pilotage de projet, de gouvernance et de gestion des risques.
TPE/PME françaises : la cible privilégiée des illusions numériques
Quand le mirage siphonne les budgets
Les TPE/PME sont particulièrement exposées car elles manquent souvent de ressources internes (DSI, juristes, experts cybersécurité). Elles sont plus vulnérables aux discours marketing enjôleurs et aux offres “tout-en-un”.
SaaS de gestion d’avis : certaines plateformes verrouillent les comptes ou revendent les données.
Sites No-Code : agences ou freelances proposent parfois des sites esthétiques mais mal codés (iframes, peu de SEO, lenteurs).
SaaS métier : dans la comptabilité ou la relation client, certains éditeurs imposent des hausses tarifaires soudaines ou capturent la base de données.
Coûts cachés et effets domino
Augmentations tarifaires : des hausses de 50 %, 70 % ou plus, alors qu’aucune alternative n’est prête.
Bugs critiques : pannes chez le prestataire, piratages, entraînant la mise à l’arrêt de l’activité.
Données captives : difficultés ou coûts prohibitifs pour récupérer et migrer ses informations.
Statistiques alarmantes
Près de 24 % des PME françaises ont connu un incident informatique majeur (panne, bug, cyberattaque) dans l’année écoulée.
60 % des petites entreprises victimes d’une cyberattaque sérieuse mettent la clé sous la porte dans les 6 mois (chiffres américains, tendance similaire en Europe).
L’État français lui-même pris au piège des offres alléchantes
Même les institutions publiques n’y échappent pas. Depuis des années, l’État français a adopté massivement les solutions Microsoft (Windows, Office, serveurs…), initialement à tarifs préférentiels.
Enfermement progressif : une fois le parc standardisé, il devient très coûteux de migrer vers d’autres solutions.
Hausses tarifaires successives : l’État est captif et doit accepter des augmentations régulières.
Perte de souveraineté : les données administratives sont hébergées par un prestataire privé, potentiellement soumis à des lois étrangères.
Si même un État, avec son poids et ses moyens, se fait “verrouiller”, les TPE/PME doivent doubler de vigilance pour ne pas tomber dans le même piège.
Les enjeux à long terme : prudence et professionnalisation
Pour les entreprises
Projets non viables : une refonte complète peut s’imposer si le choix technologique est mauvais.
Coûts cachés : maintenance, migrations forcées, correctifs de sécurité font grimper la facture finale.
Atteinte à l’image : un site indisponible, une fuite de données ou du contenu automatisé polémique nuisent à la réputation.
Pour les professionnels
Dévalorisation des métiers : développeur, rédacteur, graphiste peuvent paraître “remplaçables” par le No-Code ou l’IA.
Concurrence déloyale : des “pseudo-experts” cassent les prix en utilisant l’IA ou des outils No-Code, dégradant la perception du niveau d’exigence.
Conclusion : brouillard de guerre, appât du gain et nécessaire lucidité
Le rythme effréné auquel les solutions numériques se déploient, soutenu par la concurrence et la promesse de gains rapides, crée un véritable brouillard de guerre. Les promesses mirifiques masquent souvent des réalités moins reluisantes : dépendances, risques de sécurité, coûts gonflés ou verrouillages contractuels. Dans cette course, ce que l’on appelle aujourd’hui « intelligence artificielle » relève davantage d’une stratégie marketing que d’une réelle IA. Pour autant, la puissance d’automatisation et d’analyse de ces outils transforme profondément le paysage, et ce, en un temps record.
Un parallèle intéressant aurait pu être fait avec l’essor des réseaux sociaux : il suffit de mettre en avant quelques créateurs pour que des milliers d’autres s’épuisent à alimenter la plateforme, attirés par un succès potentiel qu’une infime minorité atteint réellement. On ne parle pas de tous ceux qui, en cherchant cette reconnaissance, se ridiculisent ou s’exposent à des dérives psychologiques ou sociales. Sans oublier l’impact de ces mêmes réseaux sur le cerveau des enfants, la vie privée ou encore la polarisation des débats. Devrons-nous devenir de simples « consommateurs-experts », à l’image des vaches d’un fermier, gavées et exploitées pour leur production ?
Dans la même veine, souvenons-nous des débuts d’Internet, où le « partage » régnait et où la communauté des premiers “sachants” avait initié une culture d’échange libre (warez). Les grands groupes ont progressivement phagocyté ces pratiques pour en faire des structures plus commerciales et mercantiles, comme on le voit aujourd’hui dans la presse en ligne ou avec l’évolution des réseaux sociaux (salut à Elon Musk et son X).
Rien n’est jamais binaire dans le vivant : il faut garder à l’esprit que les crises et les bouleversements sont souvent le terreau où germent les meilleures solutions. Espérons simplement que la vague de technologies convergentes — IA, No-Code, SaaS ou réseaux sociaux — ne soit pas trop haute pour nous submerger. Notre situation est sans précédent dans l’histoire.
En définitive, l’adoption du No-Code, l’usage de pseudo-IA ou le recours à des solutions SaaS ne sont pas des impasses si l’on prend soin de garder la main sur ses choix et sur la stratégie globale. Cela suppose :
- Une vision de long terme : évaluer la pérennité, la réversibilité et la sécurisation des outils.
- Une approche humaine éclairée : formation, sens critique et préservation de la créativité.
- Une véritable culture du risque : pour éviter de s’enfermer dans des dépendances coûteuses ou de perdre la souveraineté de ses données.
Loin d’être un « mirage », ces technologies forment un puissant levier à condition de rester vigilant quant à leur usage et à leurs limites. Plus que jamais, nous devons préserver notre intelligence naturelle et notre esprit critique pour ne pas nous retrouver submergés. Sans cela, nous risquons de céder à une facilité apparente — et d’en payer le prix fort. Comme le rappelait déjà Thucydide dans le Dialogue mélien :
« Les forts font ce qu’ils peuvent, et les faibles subissent ce qu’ils doivent. »
Nous avons tout intérêt à ne pas devenir les « faibles » de ce nouvel ordre numérique, mais plutôt à comprendre et maîtriser ces outils pour en faire des alliés, plutôt que de simples et dociles consommateurs.
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