Bienvenue en 2025. Une époque où chacun possède un micro, un canal de diffusion, un avis sur tout, mais où plus personne ne s’écoute. On parle, on parle, on se répond rarement, et surtout, on ne s’écoute jamais. Le silence est mort, il a été remplacé par un fond sonore permanent, une bande-son de clashs, de débats inutiles et de certitudes creuses.
On voulait la liberté d’expression. On a obtenu la liberté d’interruption.
Il fut un temps où l’opinion demandait un peu de recul. Aujourd’hui, elle se construit entre deux stations de métro, dans un commentaire TikTok, ou mieux : à coups de hashtags. Plus le propos est extrême, plus il buzze. La nuance ? Supprimée pour cause d’incompatibilité avec les algorithmes.
On ne dialogue plus, on performe. La parole est devenue une posture, une danse de mots sans musique. On déclame, on dénonce, on jubile d’être en colère. Et si l’on peut glisser “fasciste”, “islamogauchiste” ou “climatosceptique” dans la même phrase, c’est jackpot.
Le débat public n’est plus une arène : c’est un karaoké idéologique. Chacun chante sa version sans écouter celle des autres. Résultat ? Une cacophonie permanente, où les faits, les vrais, s’évanouissent comme une vieille antenne hertzienne.
Mais pendant que tout ce petit monde hurle à la démocratie bafouée ou à la planète en feu, il y a ceux qu’on n’entend plus. Et ce n’est pas parce qu’ils n’ont rien à dire, mais parce qu’ils savent que le bruit actuel n’admet pas la pensée lente. Les artisans, les profs, les chercheurs, les vieux sages sans followers… ceux qui auraient peut-être les clés pour comprendre. Eux se taisent. Pas par lâcheté. Par lucidité.
Parce qu’ils savent qu’on ne pense pas en live.
Et pendant ce temps, les “élites” – issues de grandes écoles au format standardisé – nous gouvernent avec des têtes bien pleines, mais jamais bien faites. Oui, c’était Montaigne, pas Rabelais : « Mieux vaut une tête bien faite que bien pleine. » Pas sûr qu’un seul de ces énarques en costard-cravate ait eu le temps d’y réfléchir entre deux colloques sur la transversalité inclusive et la sobriété numérique.
Ceux qui dirigent aujourd’hui n’ont pas été formés à comprendre, mais à briller. À pondre des slides, à réciter des notes, à jongler avec les éléments de langage. Le reste ? Gérer la réalité ? Trop terre-à-terre. Trop vulgaire. On délègue, on reporte, on communique. Et puis si ça rate, on passe à autre chose. Aucun problème ne reste sans solution tant qu’il reste un bouc émissaire.
La France vit sous un brouillard mental où la parole remplace l’action, où la forme écrase le fond, où la posture prend le pas sur la vision.
L’échec ?
Il est diffus, collectif, dilué dans des hashtags et des conférences. Jamais jugé. Jamais assumé.
Et pourtant, chaque résultat est là, visible :
– une justice qui n’inspire plus la confiance,
– une énergie mal gérée,
– une diplomatie incohérente,
– une école qui décline,
– une économie qui stagne,
– une nation divisée, isolée, sans projet commun.
Mais aucun de ceux qui ont piloté tout cela ne rendra jamais de comptes. Ce ne sont pas les coupables qui trinquent, c’est toujours les mêmes : l’ouvrier, le prof, l’infirmière, le retraité trop fier pour mendier.
Comme à Verdun, comme en 40, ce sera encore « ce con de Français » qui en fera les frais.
Alors oui, bienheureux les simples d’esprit, car le royaume des cieux leur appartient. Et à ceux qui nous gouvernent sans vision ni humilité ? Rien. Peut-être la postérité dans un footnote de rapport d’échec.
Ou peut-être… une place de choix dans la société du bruit.